Du projet au monument du patrimoine
Sublime ce Canal du Midi ! Une merveille, seul qualificatif qui vient à l’esprit lorsqu’on qu’on le découvre et on le parcourt du Port de l’Embouchure à Toulouse jusqu’à l’étang de Thau ! Canal Royal de Languedoc, Canal des Deux Mers, Canal du Midi, autant de noms que de superlatifs pour ce chef-œuvre, né du génie d’un homme qui n’était ni ingénieur, ni hydraulicien mais simple fermier des gabelles et qui se révèle grand visionnaire : Pierre-Paul Riquet. Il y mouillera sa chemise et sa fortune dans ce que l’on peut appeler une aventure humaine aux prolongements économiques et sociaux.
De nombreux ouvrages ont été écrits sur le Canal du Midi. Il n’est pas question ici d’évoquer toute l’histoire de ce canal, mais juste quelques points…L’idée de génie de Riquet est celle du franchissement du seuil de Naurouze point culminant d’immenses plaines entre Pyrénées et Massif Central et qui était le plus grand obstacle à la réalisation de ce canal…C’est là qu’il placera l’alimentation du point de partage des eaux entre Océan et Méditerranée à 189 mètres d’altitude en pleine Montagnes Noires. Il ouvre au printemps de 1667 le plus grand chantier que la province n’avait connu auparavant. Pas moins de quatorze années de dur labeur avec plus de 12000 ouvriers pour arriver à bout de cette œuvre pharaonique. Riquet ne verra pas son œuvre achevée ; il meurt dans son château de Bon-Repos, au mois d’octobre 1680 alors qu’il ne restait plus que trois kilomètres à creuser ! Son oeuvre fut parachevée par ses héritiers et consolidée par Vauban…
Aujourd’hui le Canal du Midi, c’est 240 kilomètres de longueur, point culminant 189 mètres, dénivelé Toulouse-Naurouze 58 mètres, étang de Thau-Naurouze 110 mètres. 350 ouvrages d’art dont 126 ponts, 55 aqueducs, 6 barrages, 7 ponts-canaux, 63 écluses, dont une septuple, 1 quadruple, 4 triples, et 19 doubles émaillent le parcours.
Après avoir contribué, pendant près de deux siècles au désenclavement et au développement économique de toute une région, le chemin de fer, comme en Bretagne établira une redoutable et irréversible concurrence au canal dont il ne s’en remettra pas ! Avec le passage des derniers bateaux dans les années 70 de lourdes hypothèques pesaient sur son avenir ! Mais voilà en 1997 l’œuvre de Riquet et la mémoire de ce génie ne pouvaient avoir de plus bel hommage que son inscription au Patrimoine Mondial De l’Humanité !
Trois siècles après sa construction, il séduit, il fonctionne et il revit pleinement avec le tourisme fluvial…Qui a parlé de développement durable ? En voilà un exemple !
Du canal du Midi aux canaux de Bretagne
Si j’ai cité relativement au Canal du Midi, les Montagnes Noires, le château de Bon-Repos ou le bief de partage des eaux de Naurouze à 189 mètres d’altitude c’est pour cette coïncidence ou universalité de l’aventure des canaux ! En effet, Montagnes Noires bretonnes, abbaye de Bon-Repos et bief de partage des eaux à 184 mètres à Glomel montrent que nos canaux de Bretagne s’inscrivent, presqu’avec les mêmes mots, dans la même trempe que le Canal du Midi et les contingences de l’histoire !
Si aux motifs du canal du Midi s’imposaient la nécessité d’éviter le long contournement dangereux de la péninsule ibérique, d’éviter les pirates barbaresques et un Golfe de Gascogne souvent déchaîné, n’en a-t-il pas été de même pour nos canaux bretons ? Se confronter d’abord à la mer : « …Restent à affronter les terribles courants du Raz de Sein qui déconcertent les plus habiles manœuvres…ou à se lancer au large sur une mer toujours violente afin de tourner l’Isle de sein et les rochers à fleur d’eau qui l’entourent… » Et puis l’ennemi : « …Dans les temps de guerre, les stations ennemies, auxquelles les gisements des côtes permet de s’établir et de mouiller l’ancre à l’ouvert des baies d’Audierne et de Douarnenez rendent dangereuses les communications maritimes… ». On se souvient aussi en Bretagne de la bataille des Cardinaux et du Blocus Continental…
Notre Canal des Deux-Mers c’est le Manche-Océan de Saint-Malo à Arzal dont les premiers travaux ont débuté en 1539 sous François Ier par la canalisation de la Vilaine entre Rennes et Messac.
Si le Canal du Midi distille toute une culture et une identité régionale de toute une province, le Canal de Nantes à Brest souvent dénommé « Canal de Bretagne » reflète par son histoire et sa géographie ce trait d’union de l’identité et de la culture bretonne.
Pari, défi en voie d’être réussis
Alors aujourd’hui se pose la question fondamentale: le canal de Nantes à Brest en ce début XXI ème siècle sera-t-il réhabilité, remis en navigation et classé au nom d’un patrimoine régional qui a de tout temps accompagnée la mémoire collective des bretons et leur histoire
Combien de tergiversations sur la remise en navigabilité de quelques tronçons qui manquent dans les Côtes d’Armor, le Morbihan et le franchissement du barrage de Guerlédan au moment où les techniques sont complètement maîtrisées! Combien d’interrogations sur la lenteur transfert en propriété et en gestion de « l’intégralité » du canal de Nantes à Brest au DPF régional ?
Notre impatiente s’est heurtée simplement au temps nécessaire à la maturation des projets de valorisation de notre patrimoine fluvial régional. Cette impatiente est aujourd’hui récompensée ! Depuis quelques années la volonté politique de la région devenue propriétaire de son DPF et sa détermination se traduisent sur le terrain par ces dizaines de maisons éclusières réhabilitées et animées par des porteurs de projets. Entre Guerlédan et Pontivy nos écluses se dotent de portes neuves et la péniche la « Duchesse Anne » office du tourisme de Pontivy-Communauté a franchi le premier bief de Guernal dans son voyage inaugural, spectacle qui n’a jamais été vu depuis le mois d’avril 1951…Dans les Côtes d’Armor le conseil départemental affiche sa volonté et sa détermination de refaire du canal un atout maître du développement du tourisme en Bretagne intérieure avec l’aide de la région. On entrevoit, dans l’année à venir, d’ores et déjà, les prémices où cette section de canal Châteaulin-Guerlédan va retrouver le giron du DPF régional et son éventuelle réinscription à la nomenclature des voies navigables…
Le canal de Nantes à Brest redevient désormais le « chemin qui marche » vers cette unité de la Bretagne dans sa géographie, son histoire, sa mémoire et ses ambitions…
A l’aube de 2017, ce sont mes vœux pour notre belle Bretagne…
Kader BENFERHAT
18 décembre 2016